Pour retracer l’histoire de la lutte contre la corruption, il faut partir de l’Ancien régime ou la séparation progressive des Affaires privées et de la chose publique faisait naître plusieurs infractions, notamment le délit de détournement de deniers publics et la corruption. La Déclaration universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, reconnaissait à la société le droit de demander des comptes à tout Agent public de son administration.
En effet, historiquement, le procès de la consolidation, tel qu’imprimé dans la mémoire collective, est considéré comme une période fondamentale pour poser la problématique de la corruption, en Haïti. 116 ans après, le dossier controversé ‘’Petrocaribe’’ et les multitudes scandales en cascade de corruption révélée dans l’Administration publique et les pouvoirs constitués font de cette lutte l’affaire de tous; qu’ils s’agissent de simple citoyen ou des représentants au plus haut sommet de l’Etat. En démocratie participative, c’est une nouvelle approche d’implication directe des citoyens via « un concept de coresponsabilité qui se démarque de celui de la suspicion ». Bref, malgré l’intérêt exceptionnel que cela suscite à travers des différentes mobilisations, la pédagogie de la corruption devait prendre le dessus avant toute démarche visant à combattre le phénomène sous toutes ses formes. Ainsi, il convient légitimement de se demander: qu’est -ce que la corruption?
Comme toute démarche scientifique, pour bien comprendre ce terme, il s’avère utile de revenir à son sens premier. En latin, le verbe ‘’corrumpere’’ signifie d’une part ” altérer, gâter ” ; par exemple de l’eau qui devient non portable. Il peut vouloir dire d’autre part “détruire complètement, anéantir”. Dès l’origine, le terme de corruption présente donc à la fois la signification physique, la dégradation, et une signification morale, l’altération des mÅ“urs. Tenant compte de cette définition originelle, la corruption est l’action de changer l’état naturel d’une chose en la rendant mauvaise. On parle ainsi de corruption de l’air.
La corruption: approche politique
Selon Montesquieu, la corruption constitue pour l’individu un retour de l’intérêt général vers son intérêt particulier. Dans l’Esprit des lois, Montesquieu met la démocratie en garde contre ce risque en disant: « rien n’est plus dangereux que l’influence privée dans les affaires publiques». Avec le temps, la corruption a enfin pris un sens juridique et politique en désignant par la ” faute de celui qui se laisse détourner de son devoir par des dons, des promesses ou la persuasion”. Si l’on retient ce sens politique, la corruption renvoie aux représentants de la nation et aux fonctionnaires en mettant en cause leur intégrité, leur bonne gestion des deniers publics et l’équité des citoyens qu’ils devraient garantir. En effet, la notion de corruption doit être mise en perspective avec la construction de l’État. L’État permet aux hommes de s’organiser en mettant en commun leurs décisions d’intérêt général, ainsi que les ressources nécessaires au financement de cette vie commune.
Les administrations doivent rendre compte au public: celui-ci doit être en mesure d’analyser leurs décisions techniques et leurs appréciations en matière de choix politique. Le public et les divers groupes d’opinions ont besoin de savoir ce que fait le gouvernement et doivent disposer de procédures permettant de porter plainte en tenant les fonctionnaires pour responsables de leurs actes. Une administration soumise à un tel contrôle public est non seulement légitime sur le plan démocratique, elle est également moins exposée au trafic d’influence. Malheureusement, la réalité est tout autre puisque l’esprit de bon nombre de responsables se tourne petit à petit vers l’intérêt particulier, ce qui altère pratiquement plusieurs vertus pourtant nécessaires à la société :
• l’intégrité des représentants et personnes qui exercent les prérogatives dévolues à l’Etat;
• la bonne gestion des ressources confiées à l’Etat; corollaire du consentement à l’impôt;
• l’égalité des citoyens.
Corruption: l’approche juridique
La notion de corruption au sens large, renvoie à certaines pratiques de confusion au sein du public et du privé ; mais pour qu’on puisse parler de corruption au sens strict, il faut deux conditions. La première, c’est qu’il y ait interférence des relations d’ordre privé sur les relations d’ordre public, alors même qu’il y ait différenciation objective entre les domaines public et privé. La seconde, c’est que la différenciation objective soit doublée d’une différenciation subjective ; en ce sens les pratiques sont ressenties par les intéressés comme de la corruption, c’est-à -dire comme une pratique condamnable.
Pour combattre le phénomène de la corruption, faut-il bien que la responsabilité administrative soit renforcée par l’existence d’un système de contrôle judiciaire de l’action administrative. Cependant, un pays dont le judiciaire est faible et corrompu, y regardera deux fois avant de renforcer le pouvoir des juges. L’existence d’un judiciaire corrompu est nuisible à la démocratie parce qu’elle empêche aux juges de jouer le rôle de chiens de garde des valeurs constitutionnelles ou de surveiller l’honnêteté des autres pouvoirs, et rend également toute réforme difficile.
Par contre, dans les démocraties modernes, la lutte contre la corruption connaît des avancées décisives à partir de 1980, en réaction à des scandales politico-financiers. Il existe un consensus fort parmi les organisations internationales pour combattre le phénomène de la corruption ainsi qu’une matrice intellectuelle relativement homogène pour expliquer les causes et les conséquences du phénomène, puis proposer de façon relativement normative une ‘’ Stratégie Efficace’’. D’où l’émergence des principes de la bonne gouvernance puisque, selon la Banque Mondiale, l’Etat constitue à la fois le problème et la solution. Pour cela, plusieurs instruments juridiques internationaux, régionaux et nationaux vont mettre en place des outils opérationnels pour lutter contre la corruption et promouvoir la transparence dans la vie publique tels:
-Convention des Nations Unies contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes du 9 Décembre 1998;
-Convention OCDE du 17 Décembre 1997 sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales;
-Convention Interaméricaine contre la corruption signée le 17 Octobre 1997;
-Convention des Nations Unies contre la corruption adoptée le 31 Octobre 2003
-Loi Portant Prévention et Répression de la corruption, publiée au journal officiel de la République, Le Moniteur, le vendredi 9 Mai 2014.
Corruption: les méfaits
La lutte contre la corruption et les conflits d’intérêts constituent un socle de l’Etat de droit sur lequel doit se construire la démocratie tout en prônant la justice sociale et l’égalité des citoyens d’une part, la transparence de la gouvernance et des transactions financières d’autre part.
Pour mieux percevoir ce que représente la corruption et mieux la combattre, deux approches sont possibles: la première consiste à mesurer les phénomènes de corruption, en analysant notamment la réponse judiciaire qui est apportée par les Etats, et la deuxième approche, celle qu’a choisie la Transparency International, est d’évaluer la perception dans l’opinion publique, en interrogeant les citoyens de façon dont ils les confrontent dans leur vie quotidienne.
La corruption rompt le principe républicain de l’égalité des citoyens:
-Egalité des citoyens devant les services publics:
Car la corruption crée des inégalités dans l’accès aux moyens de la collectivité. Elle induit une distorsion dans l’utilisation des deniers publics, qu’il s’agit des conditions d’achat public ou l’attribution de subventions ou d’aides.
-Égalité des citoyens devant l’impôt:
Car la corruption conduit à demander à certains citoyens une contribution excessive ou accorder des remises indues à d’autres.
-Egalité des citoyens devant la loi:
Car la corruption conduit à une application biaisée des règles publiques.
En conséquence, pour toutes ces raisons, la corruption dégrade la confiance des citoyens envers les institutions, les élus ou les agents publics. En ce sens, c’est une lourde menace pour les démocraties. Ne pas la tolérer est et doit être l’affaire de tous.
Documents de référence:
Panorama de Corruption, article de Hélène Chaudière;
La Banque mondiale, la corruption et la gouvernance, article de Jean Cartier- Besson;
Loi Portant Prévention et Répression de la Corruption.
MESADIEU Witzer, Politologue et Bachelier en Droit
mesadieuwitzer@gmail.com