Discours du Président sortant, Magistrat Wando SAINT-VILLIER, à l’occasion du premier congrès de l’APM
Honorables magistrats assis et debout de tout grade et de qualité
Monsieur le Protecteur du Citoyen, Me Renan HEDOUVILLE
Monsieur l’Ex-ministre de la Justice, Me René MAGLOIRE
Monsieur le Directeur de l’Inspection Judiciaire du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, Me Sonel JEAN-FRANCOIS
Monsieur l’Ancien Directeur de l’Ecole de la Magistrature, Magistrat Lionel Constant BOURGOUIN
Monsieur le Responsable du Projet de renforcement du secteur de la justice en Haïti (JSSP/USAID), Monsieur Philippe LAMARCHE
Mesdames/Messieurs de la presse parlée, écrite, télévisée et des médias en ligne
Mesdames/Messieurs les invités
Mesdames/Messieurs,
Aujourd’hui, nous sommes à l’Hôtel El Rancho pour le déroulement du premier congrès de l’Association Professionnelle des Magistrats (APM) qui, depuis six ans, ne cesse de contribuer dans la lutte pour l’indépendance effective de la justice, pour de meilleures conditions de travail et des traitements dignes pour les magistrats.
Il convient de vous rappeler que l’Association Professionnelle des Magistrats a été fondée le 14 septembre 2014. Elle a pris naissance après maintes réflexions, par un groupe de jeunes magistrats à l’époque, sur la situation du système judiciaire haïtien. Un système très décriés dans l’opinion publique auquel on colle des épithètes, par la faute de certains collègues, de corrompu, partial, inefficace et lent. De telles perceptions ne font qu’affaiblir la justice et lui ravir la confiance des justiciables. Alors qu’il ne peut exister un Etat de droit sans une justice forte et crédible. Car, la crédibilité de la justice est fondée sur l’indépendance de la magistrature, l’honnêteté et la probité des magistrats. Conscients que l’indépendance de la justice doit être assurée tant par les pouvoirs publics que par les magistrats eux-mêmes et que l’intégrité de ces derniers contribue à donner aux fonctions judiciaires leur légitimité ; laquelle est l’un des conditions essentielles du respect et de l’acceptation des décisions judiciaires par les justiciables ; tenant compte, en outre, des problèmes structurels et d’infrastructure auxquels confronte la justice et de la nécessité qu’elle soit dotée de de moyens matériels, techniques, juridiques suffisants et de ressources humaines qualifiées et possédant les qualités fondamentales du métier de magistrat, ces magistrats avaient décidé de fonder cette association en vue d’apporter leurs réflexions et leurs actions dans la perspective d’une justice forte, indépendante, impartiale et capable de trancher dans un délai raisonnable les litiges qui lui sont soumis.
Ainsi, ils avaient assigné à l’association, entre autres, comme objectifs :
1) De contribuer à affermir la garantie des valeurs et des droits qui fondent l’existence d’un pouvoir judiciaire et requièrent la pleine indépendance de son exercice ;
2) D’étudier et de promouvoir toutes les réformes nécessaires concernant l’organisation du service public de la justice et le fonctionnement de l’institution judiciaire, ainsi que le recrutement, la formation et la carrière des magistrats ;
3) D’assurer la représentation et la défense des intérêts matériels et moraux des magistrats ;
4) De veiller, entre autres, à cet effet, à leurs conditions de travail, leurs garanties statutaires, leur situation matérielle et sociale et au déroulement de leur carrière.
Sans fausse modestie, depuis sa fondation, l’Association Professionnelle des Magistrats (APM) a donné une contribution énorme, que personne ne saurait contester ou ignorer, dans la défense des intérêts des magistrats. Elle s’est taillé une position bien visible dans la lutte pour une justice forte et indépendante en Haïti conformément à son slogan : « *Luttons pour une justice forte et indépendante* ». Depuis son existence, elle est omniprésente dans tous les mouvements visant à défendre les intérêts des magistrats et de la justice. Grâce à sa ligne de conduite, sa philosophie, sa foi et sa contribution dans la lutte pour une justice réellement indépendante en Haïti, elle est, sans conteste, aujourd’hui, l’une des principales voix et l’un des porte-étendards des magistrats.
L’APM a suscité l’implication des magistrats dans toutes les questions qui concernent la justice et la magistrature. Autrefois, ils jouaient un rôle passif dans les réflexions inhérentes à la justice.
L’Association Professionnelle des Magistrats a aidé une grande majorité des magistrats à prendre conscience qu’en tant qu’acteurs du Pouvoir judiciaire et tout aussi bien citoyens de la responsabilité qui leur incombe d’œuvrer à l’édification d’un Etat de droit dans le pays à travers le règne d’une justice forte et véritablement indépendante. Aujourd’hui, aucun sujet d’intérêt général se rapportant à la justice ne saurait laisser indifférents les magistrats.
L’APM a encouragé des magistrats à la production littéraire juridique dans l’objectif de nourrir et de faire avancer la doctrine juridique haïtienne. Certains ont écrit des ouvrages, d’autres ont publié, dans les colonnes des journaux les plus prisés du pays, des articles scientifiques sur des thématiques juridiques palpitantes d’intérêt.
Elle a produit des réflexions en profondeur sur des projets de texte juridique ou de nouveaux textes juridiques. Car, en tant que magistrats, nous sommes appelés à les appliquer. Nous sommes les premiers qui ferons face à leurs manquements, leurs ambiguïtés et leurs subtilités. En conséquence, il est impérieux que toute réforme législative, juridique ou judiciaire nous intéresse. Il est important que nous les scrutions minutieusement afin d’identifier leurs points forts et leurs faiblesses.
En septembre et octobre 2017, l’APM, grâce à son leadership clairvoyant et perspicace, avait mené un vaste mouvement revendicatif au profit des magistrats et avait porté le Pouvoir exécutif à conclure un Protocole d’Accord avec le CSPJ. Ainsi, l’Exécutif avait, entre autres, épongé une dette de 38, 000,000 pour le CSPJ, une indemnité de fonction, soit 1/3 du salaire brut des juges, leur est octroyée depuis. Sans oublier le renouvellement de mandat de 57 juges.
En juillet 2020, l’APM, cette fois-ci de concert avec l’Association Nationale des Magistrats Haïtien, l’Association des Juges de Paix Haïtiens et le Réseau National des Magistrats Haïtien, avait contraint le Pouvoir judiciaire et le CSPJ à allouer aux magistrats des frais de 50% de leurs salaires sur la carte prépayée ; ajouter à une augmentation des bons de carburant.
Nous regrettons que jusqu’à présent, malheureusement, les collègues parquetiers soient traités avec injustice et subissent une grande disparité dans leurs traitements comparativement aux magistrats assis. L’APM continuera à les accompagner dans leur combat qui est aussi le combat de tous les magistrats sans distinction.
A des moments difficiles, l’APM est la seule ou l’une des seules associations qui savaient et savent prendre des positions courageuses. On se le rappelle, en 2016, la Cour de Cassation avait ouvertement exprimé sa volonté de partager des responsabilités politiques dans la gouvernance du pays. Mais, l’APM avait clairement et sans détours exprimé son désaccord avec les sages de la plus prestigieuse cour de la République. Car, au niveau de l’APM, nous croyons que la justice ne doit pas se mêler de la politique. Et, si elle s’y mêle, elle s’écarte automatiquement de sa mission régalienne de régulation sociale. Cette institution doit, en toute occasion, garder sa neutralité, son impartialité.
En 2018, quand il a fallu combler des postes vacants à la Cour de Cassation, il y avait une velléité d’appliquer les dispositions de l’article 15 du décret du 22 août relatif à l’organisation judiciaire abrogées par l’article 23 de la loi du 27 novembre 2007, dans l’objectif d’intégrer des avocats comme juges à la Cour de Cassation. L’Association Professionnelle des Magistrats était la seule association qui avait combattu ce projet. Car, non seulement les dispositions de l’article 15 du décret sont abrogées, mais il fallait aussi défendre la professionnalisation du métier de magistrat, la carrière des magistrats et empêcher que la plus haute instance judiciaire soit politisée. Cela aurait été une énorme entrave pour la justice du pays.
L’APM avait écrit au Président de la République pour le rappeler que c’est la loi du 27 novembre 2007 qu’il fallait appliquer dans la procédure de nomination des juges à la Cour de Cassation. Elle avait, en outre, exigé l’application de l’article 28 de ladite loi qui précise que : « En cas de vacance de poste de Juge à la Cour de Cassation, le Sénat transmet au Président de la République une liste de trois candidats par poste à pourvoir conformément à la loi. Sur l’avis conforme du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire pour chacun des postes à pourvoir, et en limitant son choix aux noms figurant sur la liste, le Président de la République procède aux nominations dont s’agit ».
De l’autre côté, l’APM avait lancé une mise au garde au CSPJ qui, même s’il n’avait pas la volonté de faire respecter les prescrits de cet article, était obligé d’émettre des avis défavorables aux avocats, les écartant ainsi de la course. Au demeurant, seuls des magistrats des Cours d’Appel qualifiés ont été nommés et promus en cassation.
Mes chers collègues, il va sans dire que la lutte pour l’instauration de l’Etat de droit et l’indépendance effective de la justice en Haïti est une lutte de longue haleine et sans merci. Elle nécessité notre sens combattif, notre sens d’engagement, beaucoup de résilience et notre foi dans la construction d’une société meilleure au bénéfice des générations futures.
Nous devons éviter de nous laisser prisonniers des problèmes conjoncturels pour adresser les problèmes structurels du système judiciaire, pour œuvrer à sa modernisation et au renforcement de la capacité technique de ses acteurs, notamment celle des magistrats qui doivent répondre à certaines nouvelles complexités du droit et des procès. Il va falloir aussi, pour regagner la confiance des justiciables, développer une culture et des pratiques basée sur l’éthique et la déontologie qui gouvernent le statut de magistrat.
Il faudra que nous continuions à nous battre pour une réforme en profondeur de la justice du pays. La justice doit pouvoir s’auto-administrer seule comme pouvoir. Le principe de la séparation des pouvoirs consacré par la constitution doit connaitre son plein effet. Les juges doit pouvoir être nommé dans une fonction de carrière réelle, jusqu’à l’âge de la retraite. Les commissaires du gouvernement doivent, à l’instar des procureurs au Chili, être indépendants dans l’exercice de leurs fonctions ou il faudra réunir tous les magistrats dans une seule main, celle du CSPJ. De tel changement de paradigme demandera de forts engagements de la part des magistrats ainsi que l’accompagnement de la société civile. Car, la justice est une affaire de société et non celle des magistrats qui sont, eux-mêmes, au service de la société. Les magistrats du parquet doivent pouvoir, dans les limites de la loi, mettre l’action publique en mouvement contre quiconque, qu’importe le statut social, politique ou économique de la personne à poursuivre.
Il s’évidente que la précarité de la fonction du parquet constitue un obstacle majeur au bon fonctionnement de la justice et à l’édification de l’Etat de droit en Haïti. Elle empêche à la justice de répondre, à bien des égards, à certains défis du moment et de donner des réponses adéquates à la grande délinquance et aux crimes financiers. Donc, doter les magistrats debout d’un statut protecteur s’avère une nécessité, si l’on veut que notre chère Haïti prenne la voie du progrès.
De surcroit, consciente de la nécessité à ce qu’un tel changement de paradigme s’opère dans le pays, l’Association Professionnelle des Magistrats a décidé d’organiser son premier sous le thème : « Le Statut des Commissaire du gouvernement à l’aune de l’indépendance de la justice ».
Permettez-nous de saluer le courage des responsables du Collectif des Magistrats Debout d’Haïti (COMADH) qui entame un mouvement depuis le 23 novembre dernier dans l’objectif de défendre leur droit à des traitements dignes de leurs fonctions sur le fondement de la loi du 27 novembre 2007.
Mes chers amis du COMADH, sachez bien que l’APM est avec vous !
Enfin, aujourd’hui un nouveau Comité directeur sera élu à la tête de l’APM, nous vous demandons mes chers collègues d’inscrire votre nom sur la liste électorale et de participer massivement aux élections qui se dérouleront après la pause qui suivra les conferences-debats. Cet exercice démocratique est extrêmement important pour l’avenir de l’association et de la justice de notre pays.
Nous espérons que les membres du nouveau Comité directeur s’attèleront à rendre plus dynamique l’APM, à garder la même ligne, la même foi et conviction dans une justice forte et indépendante, à défendre sans réserve les intérêts matériels et moraux des magistrats.
Tachez de vous mettre au travail, d’innover, de fabriquer la propre marque de l’APM, de dépasser le comité sortant. Rien n’est impossible en réalité. C’est le pouvoir de la volonté. Tout est avant tout dans l’attitude. Vous pouvez tout en Jéhovah, le Dieu créateur, qui vous fortifie.
Imaginez, imaginez !
Innovez !
Prenez des initiatives !
Faites ce que les autres n’ont peur ou n’ont pas le courage de faire !
Osez !
Faites la différence.
Je termine mes propos avec cette parole d’Albert Einstein pour dire aux futures dirigeants de cette prestigieuse association (APM) que : « *L’imagination est plus importante que la connaissance* . *Car, la connaissance est limitée, tandis l’imagination englobe le monde entier, stimule le progrès, suscite l’évolution* ».
Merci à tous !!!
*Tabarre, le 14 décembre 2020*